Et si on se foutait un peu la paix ?
- Sand Into the Wild
- 23 mai 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 avr.
Nous avons tous grandi avec des injonctions qui sont devenues des lignes de conduite, de véritables lignes blanches qui ont modelé notre façon d'être, notre façon de faire et de fonctionner. Ces injonctions entendues des dizaines et des dizaines de fois, des rengaines façonnant qui l'on est, qui on devient.
Ces petites phrases dans notre enfance le plus souvent, qu'on peut lister :
Sois fort·e, arrête de pleurer, de pleurnicher, de te plaindre !
Sois gentil·le, va aider ta mère / ton père
Fais un effort, c'est pas si difficile !
Fais moi plaisir et fais ce que je te dis !
Dépêche toi un peu, on va être en retard !
Chut, fais moins de bruit !

Vous l'avez compris, tous ces petits messages dont la liste n'est pas exhaustive nous ont contraints, limités, lorsque nous expérimentions à l'âge où l'on ne se pose pas de question, où l'on ressent et écoute ce qui se passe à l'intérieur de nous, comme le fait n'importe quel enfant, sans avoir la moindre idée de nos capacités et compétences.
Ces injonctions ne sont pas que parentales, et le plus souvent semblent anodines.
Elles vont nous contraindre, nous conditionner à ne pas écouter ce que nous ressentons, ce que nous voulons. Ces injonctions nous formatent, nous façonnent. On grandit sans nous laisser à nous-même le droit d'être soi.
Parce qu'on m'a dit que je devais être forte, je ne me sens pas le droit d'être faible, fatiguée, cet état n'étant pas légitime.
Parce qu'on m'a dit que je devais être gentille, aider maman, j'ai appris que je ne devais pas faire passer mes besoins avant ceux des autres, j'ai appris que mes besoins étaient de moindre importance voire inappropriés.
Parce qu'on m'a dit que ce n'était pas difficile, et que je devais faire l'effort, je me surpasse constamment, j'ai le sentiment que je ne fais jamais assez bien, que je n'ai pas le droit de souffler. Ralentir le rythme, prendre le temps, ça ne se fait pas.
Parce que j'ai entendu que je devais faire ce qu'on me disait, j'ai appris à ne pas m'écouter, et que ce que je pensais était nul, sans valeur.
Parce que j'ai entendu que je faisais trop de bruit, j'ai appris à ne pas m'exprimer.
Alors en grandissant, je suis devenue une adulte effacée, constamment dans l'effort, avec un sentiment que ce n'était jamais assez, que je ne faisais jamais bien, que les autres valaient mieux, que je n'avais pas le droit au repos ou à l'oisiveté, et que mes besoins et envies étaient insignifiants. Et bien évidemment j'étais tout le temps speed, tout le temps à fond. Je me suis construite avec ces valeurs, cette injonction à faire bien, à être parfaite. Et je culpabilisais beaucoup dès que je m'éloignais de ces schémas juste par la pensée.
J'ai donc fini par craquer. Je n'ai plus pu. Tout était dur, tout me coûtait. J'ai été incapable de m'occuper de moi, j'ai été incapable de m'occuper de mes enfants. Mon corps a lâché. Trop d'efforts, trop d'oublis de soi, trop de renoncements, trop de retenue, trop de choses gardées en moi, trop de trop de choses. J'étais prise comme je l'ai été toute ma vie entre ce que je devais faire, ce que je devais être, et ce que je voulais faire, ce que je voulais être tout au fond de moi. C'est difficile quand on est aussi mal, quand on est incapable de faire la moindre chose qui demande une énergie qu'on n'a plus, parce qu'on a été en surrégime des années, qu'on a le corps en surchauffe, que le stress nous met à terre, que tout notre organisme finit complètement déréglé. (troubles du sommeil, troubles alimentaires, crises d'angoisse, dépression, fatigue extrême, et bien d'autres encore)
Là, je n'ai pas eu d'autre choix que d'écouter ce que mon corps me disait, parce que de toute façon il m'était impossible de bouger, faute de carburant.
J'ai donc analysé. Mon corps ne pouvant pas fonctionner, mon cerveau a eu tout l'espace et le temps nécessaires pour prendre le relai. Bien évidemment ça n'a pas été instantané, ça a pris du temps, beaucoup de temps. J'ai alors appris à ressentir, et à ne plus culpabiliser. (Et bien que ce cheminement remonte à quelques années, il m'arrive d'avoir des réminiscences de ces injonctions qui m'ont dessinée.)
J'ai réalisé toutes ces contradictions en moi, cette dualité permanente entre ma nature contrariée enfant, toutes ces expérimentations que je n'ai pas pu faire parce que ça ne se faisait pas, j'ai réalisé et mis en lumière toutes ces injonctions -sans mauvaise intention- qui m'ont bien pourri la vie, qui m'ont façonnée au burin.
Alors j'ai déconstruit. J'ai appris à me défaire de la culpabilité d'être à terre, la culpabilité de ne pas y arriver, J'ai appris que ce n'était pas grave.

J'ai appris que mes idées, mes pensées, celles au fond de moi, valaient la peine, valaient pas moins que celles d'un autre. J'ai appris que je pouvais dire non, et que j'étais légitime dans le fait de dire non. Que ça n'enlevait pas de ma valeur. J'ai d'ailleurs appris que j'avais de la valeur. J'ai appris que je pouvais aussi être celle qu'on aidait, et pas forcément celle qui aide. J'ai appris à demander, alors que j'avais toujours pensé que ça ne se faisait pas. J'ai appris à ne plus m'oublier. J'ai appris que ce que je disais n'était pas du bruit, et que même ça pouvait être bien. J'ai appris que ce n'était pas gênant de pleurer, et que même ça faisait du bien. J'ai appris que si je suis fatiguée, ce n'est pas grave, j'ai le droit d'être fatiguée, et de me reposer, sans culpabiliser. J'ai appris à moduler la temporalité, et la charge de tout ce que je dois faire. D'ailleurs pourquoi est-ce à moi de le faire, et pourquoi est ce que je ne peux pas faire ce que j'ai envie de faire ? Un cataclysme interne, dans mon cerveau, pendant que mon corps se remettait doucement en route.
J'ai désappris pour apprendre. J'ai déconstruit pour construire.
J'ai arrêté des schémas de construction limitants.
Cette avancée tardive dans mon chemin de vie est arrivée un peu trop tard dans la transmission à mes enfants puisque je leur ai moi-même transmis des injonctions. La plus fréquente peut être "fais attention, tu VAS tomber". Pas tu risques de tomber, non, tu VAS tomber. Comme si c'était inéluctable, et qu'aucune autre possibilité ne pouvait être envisagée. Ce schéma qui ne permet pas de prendre le risque d'expérimenter parce que ce sera forcément raté, et douloureux.
Les mots sont vraiment importants dans ce qu'on communique aux enfants, il s'agit d'une véritable empreinte qui va participer à leur construction. Ils peuvent imprimer un certain fatalisme, quelque chose qu'on ne peut pas éviter, donc pourquoi essayer si de toute façon il a été annoncé que ça ne fonctionnerait pas ?
Depuis cette prise de conscience j'essaie de communiquer différemment avec mes enfants, avec les autres, j'essaie de transmettre ce que j'ai découvert par mon expérience douloureuse, transmettre une façon de penser positive, ou plutôt neutre, où on se sent capable d'oser, de se tromper, d'expérimenter échecs et réussites. J'essaie de faire attention à ce que je leur dis, pour que ça ne soit pas pressant ou limitant, dans ce qu'ils veulent tenter, pour qu'ils puissent se sentir libres. Sans pression négative, ou positive, et c'est bien plus difficile qu'il n'y parait.
Ces schémas que je décris ne sont pas exclusivement les miens, ils sont aussi ceux que j'ai pu observer autour de moi. Il en existe des tas, plus ou moins communs, plus ou moins répandus. Si vous y prêtez attention vous en verrez tout autour de vous. Et si vous tentez de les modifier, vous verrez que ce sont pour ainsi dire des habitudes, des réflexes bien ancrés dans nos vies !
Je vous dirais bien que la seule injonction à prendre en compte serait de ne pas prendre au sens premier ces nombreuses injonctions imprimées en nous, de ne pas les suivre aveuglément, à la lettre, par loyauté.
Arrêtons de nous mettre la pression, pression du chiffre, pression du parfait, pression de la réussite, pression du qu'en dira-t-on...
On pourrait plutôt mettre en place de façon très personnelle des "injonctions" à la bienveillance et à la compassion envers nous-même, comme on pourrait en avoir avec un enfant.
Et si on se foutait un peu la paix ?
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